De la Mauritanie à l’ouest jusqu’à la Somalie à l’est, le drapeau du « Djihad » est dressé. Plus d’une douzaine de pays d’Afrique subsaharienne sont concernés, et des dizaines de milliers de personnes en sont déjà mortes.
Les attaques dans de nombreux endroits sont une réalité quotidienne ou hebdomadaire. Désormais, les groupes extrémistes locaux sont reliés les uns aux autres au-delà des frontières, et même mondialement comme Al-Qaïda ou Daech (EIIL). En raison de ces affiliations, ils sont généralement vus à travers le prisme de la guerre mondiale contre le terrorisme islamiste. Un prisme qui néglige ce qu’ils ont en commun avec d’autres insurrections sur le continent, ce qui n’a rien à voir avec l’islam.
Les groupes rebelles ont prospéré dans les régions pauvres des Etats faibles où ils se sentent mal-administrés, souvent maltraités par les forces de sécurité, ils ne font pas confiance aux tribunaux pour rendre justice. Un autre facteur qui alimente l’émergence de ces groupes armés violents à travers le continent est le grand gisement de jeunes chômeurs qui vivent dans le désespoir sans perspectives. Encore une fois, ce n’est pas un problème spécifiquement musulman. Une enquête de la Banque mondiale en 2011 a montré que près de 40% de ceux qui se joignent à des mouvements extrémistes disent qu’ils sont motivés par un manque d’emplois. Dans ce contexte, il est évident qu’une « guerre contre le terrorisme » ne peut se voir sous un angle purement militaire.
Trois piliers
Comme je le répète sans cesse, vous ne pouvez pas avoir la paix et la sécurité sans un développement inclusif, un Etat de droit et le respect des droits de l’Homme. Ce sont les trois piliers de toutes les sociétés prospères. C’est le cas en grande partie parce que la faiblesse de ces trois piliers dans de nombreuses régions d’Afrique et du Moyen-Orient coïncide avec tant d’instabilité et de violence.
La vérité est que la croissance économique en Afrique des quinze dernières années, si impressionnante qu’elle soit, n’a été ni suffisante ni inclusive. En fait, l’Afrique est devenue le deuxième continent le plus inégalitaire du monde, selon la Banque africaine de développement. L’essentiel de cette croissance enrichit une petite élite, et peu est consacré à l’infrastructure, la santé ou l’éducation. Ce n’est pas un hasard si Boko Haram est né dans l’une des régions les plus pauvres du monde, tandis que le Nigeria dans son ensemble est devenu un marché important pour les produits de luxe.
Il ne suffisait pas que la société africaine soit inégalitaire, elle est aussi injuste. Un rapport de l’Union africaine a montré que le manque à gagner à cause de la corruption peut aller jusqu’à 25% du PIB. La corruption ne prive pas seulement les pays de la richesse, elle corrode également l’Etat de droit et la légitimité de l’Etat.
Enfin, les violations des droits de l’Homme restent monnaie courante dans de nombreux pays sur le continent, de la répression politique généralisée à la brutalité policière inexplicable de tous les jours. La violence engendre la violence.
Défi du leadership
Pour une lutte efficace contre les mouvements rebelles violents, il est besoin de plus de coopération inter-africaine et internationale. Je crois que le véritable défi de la sécurité en Afrique est avant tout un défi de leadership. Les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir indéfiniment, en truquant le jeu des élections et annihilant l’opposition, sèment les graines de la violence et de l’instabilité.
Les dirigeants qui se soucient plus de la protection de leurs pairs que celle de leurs peuples attisent les flammes de l’indignation. Les dirigeants qui permettent que la richesse soit dans les mains d’une minorité d’initiés bien connectés, tandis que la majorité du peuple cravache pour les miettes, compromettent la légitimité de leur pouvoir.
Les dirigeants africains, comme ailleurs, doivent se rappeler qu’ils sont au service de leurs citoyens, et non l’inverse. Ils ont un mandat qui leur est donné, comme un gage de confiance, par leur peuple, qui peut aussi le leur reprendre s’ils sont jugés défaillants, comme cela a été le cas au Burkina Faso.
Investir dans la jeunesse
Le défi le plus urgent est de créer suffisamment d’emplois pour les jeunes du continent. Selon la Banque mondiale, onze millions de jeunes devraient entrer chaque année sur le marché du travail africain, la prochaine décennie. Si ces jeunes ne peuvent pas trouver un emploi, et ne croient pas à l’avenir, ils peuvent être tentés de rejoindre des mouvements rebelles de toutes sortes, ou de se rabattre sur la petite délinquance et la migration.
Heureusement, l’économie de l’Afrique est encore en croissance, bien que le ralentissement de la Chine crée des difficultés pour les pays qui n’avaient pas anticipé cette baisse. Mais les quinze dernières années ont montré que la croissance seule ne suffira pas, surtout si elle est tirée par les industries extractives pauvres en emplois. L’Afrique doit poursuivre la diversification de son économie, comme certains pays l’ont déjà fait avec succès. Les gouvernements doivent investir beaucoup plus dans l’éducation, les infrastructures, l’énergie, l’agriculture et, peut-être plus important encore, créer un environnement d’investissement sûr et propice. Les dirigeants africains comprennent de plus en plus le défi qu’ils doivent relever. En 2009, les chefs d’Etat de l’UA ont déclaré 2009-2018 la « Décennie de la jeunesse africaine », et de nombreux gouvernements ont mis en œuvre des programmes d’emploi des jeunes. Les dirigeants doivent désormais mettre les jeunes au centre de toutes leurs politiques pour préparer l’avenir.
Chaque fois que je vais en Afrique, je suis toujours frappé non seulement par le nombre de jeunes, mais aussi par leur énergie, leur créativité et leur talent. Nous devrions investir en eux, exploiter leur talent, et faire en sorte que la prochaine génération de leaders fasse mieux que ce que nous avons fait.
Kofi Annan, Ex-Secrétaire général de l’ONU et Prix Nobel de la Paix en 2001. Version très élaguée. Traduction réalisée par Libre Afrique. Le 9 mars 2016.
Source: Afrik.com