Intervention du Secrétaire exécutif à la Conférence internationale sur la stabilisation dans les zones de conflit et le terrorisme insurrectionnel dans le Sahel Central et le Bassin du Lac Tchad

par Cherif salwa Salwa

Niamey, du 24 au 25 mars 2021-

Mesdames et Messieurs,

L’actualité récente nous a rappelé le coût humain de la guerre – les décès d’êtres chers, la violence aveugle et la terreur créée par des opérations asymétriques ou des représailles dont l’ampleur ignore parfois le droit international humanitaire.

Cependant, permettez-moi de prendre du recul – comme l’a expressément demandé le gouvernement du Niger, quand il a demandé que cette importante rencontre se tienne.

Le temps des conflits est long – et s’échelonne parfois sur plus d’une génération.

Depuis les années 1980, certains groupes armés se réclamant de l’islam mènent la guerre en Afghanistan. Ils luttent contre l’URSS – avec le soutien des Etats-Unis puis contre leurs compatriotes et sont enfin combattus par de nombreux Etats. La semaine dernière, le 18 mars, Moscou a abrité des négociations entre talibans et gouvernement afghan – et les Etats-Unis, qui préparent leur départ, s’apprêtent à poursuivre officiellement leurs négociations avec les talibans.

En 2001 et 2002, j’ai travaillé en Afghanistan pour UNICEF, où mes efforts ont notamment porté sur l’éducation des filles. De 2014à 2015, j’ai servi en Somalie – pour l’Union africaine ainsi qu’en RDC – pour les Nations Unies entre 2015 et 2018. A chaque fois, j’ai noté que toute œuvre utile demande du temps, le respect des grands équilibres et la prise en compte des aspirations légitimes des parties prenantes.

Depuis le début de l’année, le centre du Mali connaît le progrès d’entreprises de pacification menées par des acteurs non étatiques.

Les 12, 22 et 24 janvier, trois accords de paix ont été signés dans le cercle de Koro – à la frontière avec le Burkina Faso. Les parties au conflit sont des concitoyens, appartenant aux communautés culturelles peul et dogon. La médiation a été pilotée par le Centre pour le dialogue humanitaire, ONG dont le siège est à Genève.

Le 14 mars, une trêve d’un mois a débuté entre combattants islamistes et chasseurs traditionnels du cercle de Niono, dans la région de Ségou. Négociée sous l’égide du Haut Conseil islamique du Mali, elle prévoit la libre circulation des habitants, l’exercice de l’agriculture et la vente de bétail, la libération de prisonniers dozos et la liberté de prêche dans les villages.

Au Mali comme au Burkina Faso, les discussions entre parties au conflit incluent les négociations avec des compatriotes porteurs d’armes et se réclamant, parfois, de l’islam. Elles répondent à une demande sociale accrue pour résoudre « un » conflit dont le coût humain, social et économique est considérable.

Les opérations militaires se poursuivent – car il y va de la capacité de nos pays à ne pas céder devant les escarmouches, embuscades, mines anti personnelles et autres attaques d’autant plus fulgurantes qu’elles sont parfois menées par des « bombes humaines » mus par des pulsions suicidaires.

La montée en gamme de la Force Conjointe résulte de la volonté accrue des Etats membres de doter leurs bataillons de la capacité de changer la donne – y compris avec le soutien d’organisations régionales comme la CEDEAO.

En matière de défense, la protection des civils est une priorité. Elle se traduit par des actions d’influence positive destinées aux citoyens se trouvant dans les zones de déploiement de la Force Conjointe. Santé, accès à l’eau, distribution de vivres et de matériel scolaire sont privilégiées.

La protection des civils repose également sur un mécanisme identifiant la responsabilité d’éventuels dommages causés par la Force conjointe. Quand elle est établie, une reconnaissance suivie d’une compensation unilatérale est prévue – indépendamment d’une procédure judiciaire.

Concernant la sécurité, la protection des citoyens est un objectif primordial. A plusieurs postes-frontières partagés par deux Etats membres, les policiers organisent des missions conjointes où ils rencontrent les citoyens qui résident de part et d’autre de la frontière ou la traversent régulièrement. L’enjeu est de taille : construire une sécurité de proximité pour que règne la stabilité – et qu’advienne la prospérité.

Les solutions concrètes doivent primer – avec des signes tangibles et rapides d’amélioration des conditions de vie des Sahéliens. En 2016, le G5 Sahel a adopté une Stratégie pour le développement et la sécurité (SDS) dont la mise en œuvre repose sur un Programme d’Investissements Prioritaires (PIP). Ses quatre priorités sont la gouvernance, la résilience, la sécurité et les infrastructures.

Elles s’inscrivent dans les régions frontalières de l’Ouest (Mali – Mauritanie), du Centre (Burkina Faso- Mali- Niger) et de l’Est (Niger-Tchad) de l’espace du G5 Sahel. Lors du sommet de Nouakchott du 2 juillet 2018, les Chefs d’Etat du G5 Sahel ont demandé la mise en œuvre d’un Programme d’urgence pour la stabilisation des espaces frontaliers (PDU).

Le premier projet pilote est une initiative de coopération transfrontalière entre municipalités des régions du Sahel (Burkina Faso), de Tombouctou (Mali) et de Tillabéri (Niger) dont la population totale est de 5,5 millions d’habitants. Le Projet d’Aménagement Territorial Intégré (PATI) s’ancre dans les programmes d’investissement et les priorités des citoyens – représentés par leurs maires.

(Initialement) Prévu pour une durée d’un an et financé à hauteur d’1 milliard de FCFA par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), il cible l’économie pastorale et la santé des populations (résidentes, déplacées et réfugiées). En effet, la région abrite 30% du cheptel des trois pays (2002-2017) et son taux de couverture sanitaire varie entre 33 et 58%. Ce qui veut dire qu’en 2017, entre 4 et 7 personnes sur 10 n’avaient pas accès aux soins.

L’impact escompté repose sur des interventions tangibles et créatrices de prospérité partagée :

  1. Amélioration des services du Centre hospitalier régional (CHR) de Dori (Burkina Faso)
  2. Construction de magasins de stockage d’aliment bétail (Mali)
  3. Aménagement et équipement de l’abattoir de Tillabéri (Niger)
  4. Aménagement de « Thiékol Naguè » – axe de transhumance entre les 3 pays

La coordination est assurée par la Cellule de Coopération décentralisée transfrontalière des collectivités territoriales du Sahel (C3Sahel), dont le siège est à Dori. Le « comité de pilotage » est l’instance de consultation et de décision composée du Secrétariat exécutif, de l’UEMOA, de la C3Sahel (collectivités locales) et des Etats membres (directions régionales de l’élevage).

Les parties prenantes sont (notamment) des producteurs (principales associations d’éleveurs), des « consommateurs » (usagers du CHR de Dori) et des associations féminines de la région. Parfois, elles reçoivent les formations et l’information requises pour participer aux comités de gestion des infrastructures construites.

Le Secrétariat exécutif du G5 SAHEL assume la maîtrise d’ouvrage et confie le suivi du projet à un bureau de contrôle des travaux recruté sur fonds propres. La C3Sahel est maître d’ouvrage délégué et tous les prestataires de services sont des entreprises ou associations locales.

Pour le G5 SAHEL, tout doit partir des frontières, des collectivités décentralisées, des PME et des associations pour que « sécurité de proximité + gouvernance locale = prospérité partagée ».

Les zones frontalières de nos Etats doivent accueillir des investissements majeurs dans les domaines de l’eau et de l’énergie. Ces infrastructures représentent des opportunités pour les entreprises du BTP ainsi que pour la première transformation de nos cultures vivrières.

Le succès de notre projet pilote démontre qu’il faut combiner proximité, simplicité et efficacité.

La qualité prime sur la quantité – et l’impact de notre action se mesure à l’aune de sa pérennité.

Connaissant les capacités d’absorption de nos entités publiques et privées, il faut privilégier l’usage optimal de sommes « raisonnables » à des promesses considérables sans lendemain.

Nous espérons donc que l’initiative de la Banque Africaine de Développement (BAD) en faveur de l’énergie solaire au Sahel (« Desert To Power ») et la Facilité du G5 SAHEL (financée par l’Allemagne au sein d’Alliance Sahel) rendront plus tangible notre partenariat « sur le terrain » – par et pour les Sahéliens.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre attention.

Maman Sambo SIDIKOU

Secrétaire exécutif, G5 SAHEL

Source @Kassayata

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